interview | alain-decours
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INTERVIEW

J’ai rendez-vous aujourd’hui avec un personnage assez peu commun. Personnage enjoué, dynamique (presqu’encore comme il aime à parler de lui avec une certaine ironie). La voyance, l’astrologie ont toujours passionné les esprits. J’ai eu un peu de mal à convaincre mon hôte de me recevoir dans son bureau tapissé de dossards de courses à pied, de photos disparates et surtout une bibliothèque impressionnante - philosophie, politique, biographies - A son top 50 littéraire figurent en bonne place Agatha Christie, Roger Peyrrefite, Barbey d’Aurevilly, Alain Duhamel, Irène Mainguy. « Je n’ai rien à raconter de si passionnant… » ; outre le professionnel des arts divinatoires, j’ai rencontré un témoin de son époque et un conservateur d’images désuètes comme l’aurait si bien décrit Pagnol ou Trenet. Il l’avoue lui-même j’ai une mémoire qui ressemble à un écran 819 lignes avec une seul chaine. “j’avais promis à mon père de garder jusqu’à son décès les petits secrets de famille - en ce qui le concerne, puisque tout est accompli, c’est volontiers que je vais lever le voile, et volontiers avec vous puisque le courant passe bien”.

Comment vous êtes-vous rendu compte de vos dons de voyance ?

Dans ma famille, côté paternel les femmes étaient toutes voyantes. Mon arrière-grand-mère dans le fin fond du Cher tirait les cartes et fixait constamment de son regard une clé du château de Saint-Florent sur Cher, c’était son support. Je ne l’ai pas connue elle naquit en 1880 et finit sa vie en 1930. Courte vie. Elle était lavandière et couturière après avoir été « placée » par ses parents chez des nobles. La guerre de 1914-1918 fut d’après les témoignages qui lui survécurent comme un effet levier pour ses affaires. Les vingt dernières années de sa vie furent entièrement consacrées à recevoir les gens et vers la fin en véritable file indienne. Elle avait une réputation de bonne campagnarde, généreuse, indépendante ; son veuvage fut plutôt bien assimilé. Juste une tristesse, et se jura mais un peu tard qu’on ne lui reprendrait plus.

Ma grand-mère quant à elle était une femme exceptionnelle. Couturière, elle commença à travailler au Carmel de Bourges où sa sœur était novice. Elle ravaudait, coupait, surfilait et bâtissait «au point de Jésus » sous la férule de religieuses pas toujours très charitables. Je revois encore ma grand-mère lors des repas de famille avec un torchon sur la tête imiter l’une des sœurs : « coupez dans le biais, coupez dans le biais ». Le Bartissol et le Saint-Raphael faisaient leur effet !

Après le décès de sa sœur le lendemain de ses vœux solennels c’en fut fini de la vie du Carmel et ses grands murs carcéraux. En 1925 ma grand-mère débarque conquérir Paris on lui avait donné une adresse. Embauchée immédiatement chez Balenciaga comme petite main. Elle s’était improvisée avec grand talent comme modiste. Son adresse à confectionner des chapeaux lui ouvrit les portes d’un des plus grands Music- hall à revues. Seuls subsistent aujourd’hui le Lido et le Moulin Rouge. Elle apprit à « fixer les plumes d’autruches », à coudre des strass. Comme elle avait des rudiments de la broderie lyonnaise acquis chez les sœurs, elle n’eu aucun mal avec la verroterie des costumes de scène.  Cet univers était assez porteur pour exercer le don familial. Les danseuses et plus généralement le personnel du théâtre ne prenait guère une décision sans passer par Madeleine. « Mado, dis-moi s’il m’aime ». Les réseaux sociaux n’existaient pas mais le bouche à oreille fonctionnait bien. “le chien de pique (le valet) à côté du dix de cœur renversé... « tu n’as pas fini de pleurer ma pauvre petite. »

Mariée ensuite, elle prédisait en cachette ; mon grand-père Franc-Maçon sous le mode Grand Orient de France en pleine 3ème République, ne supportait ni les curés, ni les devins. Son Modèle était Arthur Groussier qui lui donna un bon coup de main durant la guerre. Justement la guerre, mon grand-père partit en Allemagne pour le Service du Travail Obligatoire. Il s’évada pour se cacher dans l’hôpital militaire allemand d’ Enghien, les théâtres réduisaient la voilure en matière de personnel. Ma grand-mère m’a toujours certifié avoir réussi à nourrir mon père grâce à ses consultations. Je me souviens très bien de son petit appartement à Asnières dans lequel elle recevait ses clientes. Je me cachais sous une grande table recouverte d’un bout de tissus rouge cramoisi. Un reste de rideau de théâtre ! j’écoutais, je devinais ce qu’elle allait dire.

C’est votre grand-mère qui vous a imposé le choix d’être voyant professionnel ?

Je voulais être prêtre, j’ai été très loin dans mon engagement religieux. Dans l’Eglise Catholique Romaine et ailleurs. J’ai œuvré dans l’aumônerie militaire catholique durant cinq années (Chalons sur Marne, Suippes, Compiègne). C’était déjà un pas vers ma « sécularisation ». Ma grand-mère me disait : « tu n’es pas fait pour ça. Tu vas te heurter à l’incompréhension de gens probablement charmants mais trop sérieux. L’étoffe de ta soutane est bien mince… tu es un oiseau et tu veux t’enfermer dans une cage. Tu leur chanteras l’école est finie ou Ma cabane au Canada au séminaire ! tu vas remporter un triomphe» j’adorais le chant grégorien Saint Augustin disait bien chanter c’est prier deux fois… j’étais naïf. Je pensais que « tout le monde était beau, tout le monde était gentil ». Dans l’Eglise j’y ai rencontré le meilleur comme le pire mais bien souvent le pire. C’est sûr que je n’avais pas que des amis. Considéré comme intégriste car je me berçais dans le chant grégorien et dans les 24 pièces en style libre de Louis Vierne. Et anticonformiste par ailleurs : une petite anecdote – qu’est-ce qu’on peut être stupide quand on est jeune- A une poignée de séminaristes on avait fait le mur un Vendredi Saint pour aller voir au cinéma « querelle de Fassbinder », une adaptation de Jean Genet « querelle de Brest ». Heureusement qu’il y avait dans le lot le fils du préfet, sinon nous aurions été virés immédiatement.

Ma grand-mère me répétait constamment tu prendras la relève, tu ne feras jamais fortune mais tu auras toujours à manger. Tu verras, tu te marieras. Elle avait raison sur toute la ligne, d’ailleurs j’ai toujours eu des problèmes relationnels avec les tartuffes et les faux dévots. Quand ça suinte un peu trop l’eau bénite » il y a danger en la demeure…

Lorsque vous avez commencé à pratiquer professionnellement la voyance. Le contexte était réellement différent de l’ambiance actuelle ?

Les gens se lâchaient beaucoup moins. Il y avait une certaine retenue qui n’existe plus. La société était plus fermée sur elle-même. Il n’y avait pas les réseaux sociaux, tous les moyens de communication sociale qui règnent en maitre aujourd’hui. Ces outils sont de bonnes choses. J’en profite particulièrement. J’ai toujours été à la recherche de la compréhension des moyens modernes de diffusion. Internet a été un grand tournant dans mon travail ainsi que la démocratisation de l’informatique. Pour en revenir à votre question, les gens étaient peut-être plus fatalistes et subir leur sort. Aujourd’hui la recherche de l’autonomie est importante. Le divorce était peut-être plus rare il y a trente ans. L’effet pervers aujourd’hui réside aussi dans le refus de l’autre d’un revers de la main pour incompatibilité soudaine. Au bout de dix ou vingt ans de vie commune « je ne t’aime plus » je fais mes cartons.

Vous êtes aussi reconnu comme personnage de radio.

C’est l’une de mes passions. J’ai commencé à faire de la radio à Etretat RFE, une radio associative qui n’est plus depuis longtemps. Je faisais tous les samedis matin une émission de voyance qui marchait bien malgré le bassin de population assez restreint. Cette radio émettait sur 10 km et encore.

Je me suis fait débaucher par le directeur de la Radio Résonance, j’ai fait une incursion simultanément sur Skyrock. Cette dernière m’a appris une certaine rigueur, toutefois j’avais un peu de mal à me trouver à ma place. Récemment Résonance a été acheté par Tendance Ouest qui a désiré me conserver nous avons passé deux années très agréables.  

Malheureusement j’ai senti que je n’étais plus dans ligne du parti et on me l’a fait sentir progressivement. Une minorité bloquante du conseil d’administration « catho manif pour tous » pensait que mes émissions étaient en contradiction avec certains exercices de piété ! mon émission a été censurée ni plus ni moins. Jésus n’aime pas l’astrologie parait-il.

J’ai intégré ensuite  la radio Cristal ! j’ai relevé un nouveau défi. Recommencer à zéro dans une nouvelle équipe.

Sur Cristal j’ai fait l’horoscope. J’ai voulu complètement rénover le style. J’ai voulu donner des lettres de noblesse à un art mineur. Je pense réellement que je me situe dans la très haute moyenne de ce qui existe dans le domaine. Lorsque je fais le tour des popotes radiophoniques, j’ai l’impression d’une médiocrité rédigée sur un coin de table. Soit c’est mal écrit, mal prononcé avec une musique caricaturale. Jean Rignac astrologue de Radio Luxembourg dans les années 50 inventeur du 13ème signe du serpentaire disait en parlant des horoscopes : personne n’y croit mais tout le monde les lit.

Je me suis inspiré dans la forme de ce que j’écoutais lorsque je rêvais de faire de la radio. Je me suis inspiré de gens peut être un peu disparus dans la mémoire collective. Anne Marie Peysson, Ménie Grégoire, Evelyne Pages, Gérard Sire, Macha Béranger, Clara Candiani et surtout une… une petite rigolote que j’ai eu la chance de rencontrer. Madame Soleil. Je me suis beaucoup inspiré de son personnage. Rieur, facétieux, avec un très grand bon sens. Elle disait : vous pouvez scruter le ciel, lire les cartes, les tarots mais moi j’ai l’instinct.

 

Vous avez dû constater une certaine évolution radiophonique !

Je suis passé du Revox au numérique. De l’infiniment imposant à une miniaturisation incroyable. Comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, je fais du « voice track », c’est-à-dire que je travaille tout ce qui est enregistré de chez moi, ce qui me permet de travailler à n’importe quelle heure sans demander quoi que ce soit et j’envoie le fruit de mon travail par transmission ftp. J’ai eu la chance d’avoir à mes côtés des petits génies du son.Je suis très attaché à la qualité technique.  Romu mon Mike Gyver veille au grain. J’ai essayé d’apprendre en disciple même s’il me faut un peu de temps, ayant parfois la comprenette un peu difficile. A force de ténacité on arrive à beaucoup de choses.

Que pensez-vous de la vogue des réseaux sociaux ?

Personnellement que du bien... lors des débuts de la radio dite privée, on espérait la liberté d'expression, "une nouvelle pentecôte" dès les années 90 le rouleau compresseur de l'oreille et de la pensée unique a pris le dessus. Les médias puissants se sont faits la guerre à un tel point que beaucoup ont tronçonné la branche sur laquelle ils étaient assis. Deezer et Sportify ont détourné les mélomanes saturés de publicité et de programmes redondants. Il restera certes des Médias qui font l'opinion et qui parlent. On a sacrifié sur l'autel de la rentabilité certains talents extraordinaires que seuls hélas les auditeurs aimaient. Les maquignons des services des ressources inhumaines un peu moins.

Donc oui j'aime les réseaux sociaux chacun dans son genre. J'affectionne particulièrement Tiktok - c'est un moyen de communication encore en plein évolution. j'apprends tous les jours à faire des vidéos et à sortir un peu de mon personnage radiophonique pour faire de l'image. C'est une ascèse de tous les instants. J'y découvre une nouvelle génération qui m'apprécie bien. J'ai comme conseillers de très jeunes gens qui n'hésitent pas à me dire leurs quatre vérités.

Vous écoutez beaucoup de musique ?

J'écoute beaucoup la radio en voiture, c'est comme cela que je vérifie la qualité de mon travail d'autre part. si ça passe bien sur un auto-radio médiocre, ça passe partout. J’ai une formation classique. J’ai étudié au conservatoire de Caen il y a longtemps et même fait partie de la chorale universitaire. On avait chanté entre autres Carmina Burana de Carl Orff avec orchestre philharmonique. 

J'apprécie beaucoup Ibrahim malouf - son album sur Oum Kalthoum est une réussite totale, Natacha Atlas, Basia, Dionne Warwick ; j'ai un faible pour la musique brésilienne.

La musique de variété actuelle contient des perles : ninho, ed shiran, OrelSan, Dave Stewart, Jain, Calvin Harris, Feder, Julien Doré, Sliman ; ce qui me séduit le plus dans les chansons du moment réside dans la qualité des orchestrations. Je ne m’arrête jamais à des à priori qui, comme les vêtements, lorsqu'ils tombent peuvent réserver de bonnes surprises. C'est bon pour la musique et pour le reste.

Petite histoire puisque vous en êtes friand : il y a quelques années pour la réalisation d'une émission, il y avait la nécessité d'utiliser une musique... après renseignement les droits étaient absolument extravagants. Avec l'un de mes amis compositeur de comédies musicales on s'est dit que la musique on allait la faire nous-mêmes. J’ai sifflé plusieurs mélodies qui me venaient à l'esprit, tout a été noté, orchestré et enregistré. Outre les droits je fus très honoré de recevoir ma carte de sociétaire de la Sacem ! J'ai récidivé avec des musiques de publicité. Ce fut une période très amusante et rémunératrice.

 

 

Vous avez un cabinet de consultation. Quel est le style d’un consultant classique ?

Il n’y pas de consultant type. Lorsque j’ai commencé en 1986, jamais je n’aurais pensé durer 36 ans et plus probablement ! j’ai réellement toutes les couches de la société. Il y a une grande complicité et un attachement mutuel. Ça représente plusieurs générations qui se refilent mon numéro de téléphone ! Dernièrement une jeune femme me demande : “Ma grand-mère venait vous voir, ma mère, moi aujourd’hui... Quel âge pouvez-vous avoir ?” Elle me regardait comme si j’étais le comte de Saint Germain ou Cagliostro.

Vous vous rappelez votre premier consultant ?

Comme si c’était hier. Michel ; il travaillait à la centrale de Paluel. Il est mort dans des conditions assez tragiques. J’ai été très peiné de son décès.

Vous avez eu des gens célèbres ?

Ce que je peux vous dire, c’est que l’on prend un sacré coup de vieux lorsque l’on voit une rue au nom de quelqu’un qui venait vous voir il y a 25 ans. La célébrité et le rang social ne m’intéressent pas. Vous ne me verrez jamais en photo avec je ne sais quel chanteur ou prince de ce monde. Toutefois j’adore être en photo avec les gens que j’aime. Des photos, j’en prends tout le temps. Mes chats, mes amis, les fleurs, architecture… tout.

L’amitié tient une grande place dans votre vie ?

C’est très important pour moi. C’est tellement fragile. J’ai la chance d’être gâté. J’ai eu effectivement des météorites qui n’ont fait que passer - souvent les amitiés radiophoniques ressemblent à des amours de vacances – Mais les autres... Je pense immédiatement à une dizaine de visages auxquels je suis attaché. Des sensibilités différentes, des charismes tellement divers. Ils me devancent de plusieurs longueurs en matière qualitative : je fonctionne dans les excès. Je peux être fusionnel avec mes amis et aller très loin dans le soutien. Nous formons un bon petit bataillon.

Regrettez-vous de ne pas avoir d’enfants ?

Je ne me suis jamais posé la question et à vrai dire à moins d’un miracle ce serait un peu difficile. Je ne sais pas si j’aurais été un bon père. Françoise Dolto disait qu’être adulte c’est savoir pardonner à ses parents et être parents c’est savoir accepter de faire des erreurs. Je pense que j’aurais été très exigeant dans les études qu’elle qu’en soit la nature. Forger une colonne vertébrale est important. J’aimais bien ce que l’on appelait naguère : faire ses humanités. Le grec et le latin étaient importants pour se construire et apprendre à s’exprimer. J’en ai sué devant mes fiches de lecture lorsqu’il fallait résumer l’œuvre de Platon. Je ne serai jamais assez reconnaissant vis à vis des bons pères de m’avoir inculqué une éducation classique qui est le meilleur bouclier contre l’adversité. Sur le plan des mœurs j’aurais été assez souple. C’est facile de d’avoir des grandes théories lorsque l’on n’est pas directement concerné. Avoir des enfants quelle responsabilité !

Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir ?

Rien de plus qu’aujourd’hui. Continuer ! j’ai la chance d’être merveilleusement entouré. J’aimerais bien reprendre le sport. La course à pied me manque. Je me refais la jambe en ce moment ! tout ce dont je rêvais, je l’ai eu. La suite c’est du rab.

 

Phil di Trann

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